26 déc. 2010

Un chrétien irakien nous ouvre son cœur, entretien avec Yacoub Souleiman

Yacoub Souleiman (1) est catholique romain. Il a fait ses études en France. Il vit maintenant en Syrie où il travaille pour une ONG qui apporte de l’aide aux chrétiens irakiens. Il a accepté de s’entretenir avec nous par téléphone sur la situation dans  son pays.
Christian Bouchet : Yacoub, quel est votre rapport actuel avec l’Irak ? Comment êtes-vous informé sur ce qui s’y passe ?
Yacoub Souleiman : Quand la deuxième guerre du Golfe a éclatée, je faisais mes études dans votre pays, à Montpellier. Après obtenu mes diplômes, j’ai rejoint ma famille en
Syrie où elle avait émigrée. J’ai alors trouvé un travail dans une ONG humanitaire qui soutient les chrétiens irakiens qu’ils soient en exil au Proche-Orient ou qu’ils soient resté en Irak. Je suis donc en contact quotidien avec des irakiens qui ont choisi d’émigrer et je me rends en Irak même très régulièrement, principalement dans la région de Mossoul mais aussi à Bagdad. On peux donc dire que j’ai une connaissance de la situation locale directe et de terrain.
CB : Quelle est la situation des chrétiens en Irak ?
Elle n’est pas bonne, et c’est un euphémisme. Elle s’est énormément détériorée depuis la chute du Raïs Saddam Hussein et le début de l’occupation américaine. Dans l’Irak de Saddam, la constitution garantissait dans son article 3 « les droits légitimes de toutes les minorités au sein de l’unité irakienne » et dans son article 19 précisait que « tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de religion, de langue, de race ou d’appartenance sociale. » Cela nous protégeait, nous assurait d’être traité exactement comme les Irakiens musulmans. De plus, le fait que le fondateur du Baath, le parti alors au pouvoir, Michel Aflak ait été un chrétien était symboliquement valorisant pour nous, comme l’était le rôle joué à l’international par un autre chrétien, Tarek Aziz.
La défaite et la chute de Saddam Hussein s’est traduite par une aggravation sans précédent de notre situation. Le Conseil intérimaire de gouvernement ne comptait aucun chrétien dans ses rangs et la nouvelle constitution du 24 octobre 2005, rédigée sous la supervision de conseiller venus de Washington, stipula dans son article 2 : « On ne peut approuver aucune loi qui soit en contradiction avec les lois de l’islam. » ce qui constituait un gigantesque recul par rapport à la constitution laïque de 1973. En clair, elle à légalisé la charia comme fondement de la législation irakienne.
N’y aurait-il eu que cela, notre situation aurait encore pu être acceptable. Mais il s’y est ajouté les enlèvements, les meurtres et les attentats, dont le carnage qui a eu lieu à la cathédrale Notre-Dame du Perpétuel Secours n’est sommes toute qu’une manifestation plus sanglante que les autres.
Et encore nous sommes une minorité importante, qui reçoit des aides des autres Églises, donc nous pouvons nous organiser, aider ceux d’entre nous qui sont les plus pauvres et les plus dans la peine. Toutes les minorités n’ont pas cette chance et d’autres souffrent encore plus que nous, comme les Mandéens qui ont quasiment disparu d’Irak.
CB : C’est intéressant ce que vous venez de me dire, toutes les minorités sont vraiment touchées ?
Oui, toutes les minorités quelle qu’elles soient. Presque chaque jour des chrétiens de diverses obédiences, des yézides, des shabaks ou des mandéens sont assassinés et des attentats terroristes comme ceux de la cathédrale Notre-Dame du Perpétuel Secours ont déjà frappé les yézides, les Turcomans et bien d’autres.
D’ailleurs, la situation est telle que même ceux qui sont en Irak la majorité religieuse, à savoir les chiites, sont victimes d’attentats meurtriers dans leurs lieux de culte et de pèlerinage.
Tout cela donne une impression de chaos, mais quand on y regarde de plus près, c’est un chaos ordonné.
CB : À vos yeux, il y aurait donc un plan concerté ?
Oui, même si c’est plus complexe que cela. On peut dire qu’il y a deux terrorismes totalement différents qui sont l’un et l’autre instrumentalisés afin d’aboutir à un but unique.
D’un côté, il y a des réseaux wahhabites, liés à l’Arabie Saoudite et financés par les revenus du pétroles, qui mènent une guerre à mort contre les « croisés », c’est à dire nous, mais aussi contre les yézides, les mandéens, les shabaks, les chiites, etc.
D’un autre, il y a au Kurdistan une volonté d’épuration ethnique, visant à chasser les populations non-kurdes afin de permettre aux autorités régionales semi-autonomes du Kurdistan de prendre le contrôle du gouvernorat de Ninive, de son importante capitale Mossoul et de ses richesse pétrolières. En font les frais les turcomans, les yézides, les assyriens, les shabaks, etc.
Or dans les deux cas, derrière les auteurs des massacres, des attentats et des assassinats, on retrouve des alliés des États-Unis : le gouvernement saoudien dans l’un, le gouvernement kurde dans l’autre, un gouvernement kurde qui est aussi, par ailleurs, étroitement lié à l’État d’Israël.
Comment ne pas en conclure que tout ce qui se passe en Irak, sa destruction comme nation et comme État, sa communautarisation et son démembrement, coïncide tout simplement avec le projet yankee d’un « remodelage du Grand Moyen Orient » autour de petites unités territoriales définies sur des bases religieuses ou ethniques. D’ailleurs c’est si vrai que les agents des USA au sein des minorités religieuses ou ethniques poussent celle-ci a demander une partition de l’Irak qui leur soit aussi favorable. C’est ainsi que s’explique l’appel à la création d’une région autonome pour les minorités, y compris les Chrétiens, dans la province de Ninive, région, comme par hasard riche en pétrole, où les divers groupes minoritaires constitueraient en s’unissant une majorité.
CB : Lors de l’attaque de la cathédrale Notre-Dame du Perpétuel Secours on a parlé d’une réponse au synode des évêques pour le Moyen-Orient. Qu’en pensez-vous ?
Oui, cela s’est dit. Mais, à mon avis, si quelqu’un a répondu ce ne sont pas les islamistes mais les agents d’Israël – les uns et les autres marchant d’ailleurs la main dans la main – furieux que le Synode ait demandé dans sa résolution finale à la communauté internationale, et en particulier à l’ONU, de mettre fin à l’occupation israélienne « de différents territoires arabes » en faisant appliquer les résolutions de l’ONU et qu’il ait dénoncé l’utilisation de la Bible par les sionistes pour justifier leur politique impérialiste.
CB : Je sais que vous êtes amené à intervenir dans tous les pays du Proche-Orient. Comment y est, en réalité, la situation des chrétiens ?
Elle est bonne en Syrie et en Jordanie, normale au Liban, acceptable à Gaza… Ce qui est paradoxal, c’est que les chrétiens subissent les conditions les plus dures dans les deux pays de la région qui sont les plus liés à l’Occident : la Turquie et Israël.
CB : Pour conclure, pourriez-vous me résumer votre pensée en quelques mots ?
Ma pensée, je peux facilement la résumer en reprenant ce que disent nombre de nos anciens, et qu’un Français comme vous (2) a relaté dans un de ses livres : « On peut tout dire de Saddam Hussein, mais il était notre protecteur, et, tant qu’il était au pouvoir, nous avions la certitude de continuer à vivre dans ce pays. Nous étions alors heureux ! Nul n’aurait osé s’en prendre à nos biens et à nos églises. »
Maintenant nous avons la démocratie… Mais celle-ci dans son fonctionnement est pire que votre Troisième république. Tandis que dans les campagnes irakiennes et dans les camps de réfugiés on manque de tout, nos députés se sont partagés 40 millions de dollars en huit mois alors qu’ils n’ont siégé en tout que… 20 minutes !
Nous avons la démocratie, mais dans le même temps on détruit nos Église, on assassine nos prêtres et notre élite, notre pays est démembré, dépecé et vendu aux étrangers…
Nous avons la démocratie, mais on vient de condamner à mort, par pure vengeance politique, Tarek Aziz, un homme qui fut respecté de tous en l’accusant de crimes dont tout le monde sait qu’il est innocent
Alors, cette démocratie, les Américains pouvaient bien la garder pour eux et ne pas nous en faire l’aumône…
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Les minorités en Irak, quelles sont-elles ?
La majorité de la population irakienne appartient à deux groupes ethniques – les arabes et les kurdes – qui pratiquent deux versions différentes de l’Islam : le chiisme et le sunnisme. Cependant, environ un irakien sur cinq est membre d’une minorité ethnique ou religieuse, certains cumulant même les handicaps en étant à la fois membre d’une minorité qui est à la fois ethnique et religieuse !.
Les minorités ethnico-religieuses
Les Assyriens sont les descendants de la populations autochtone d’Irak et ils parlent toujours sa langue : l’araméen. Convertis au christianisme dès le I° siècle, ils appartiennent à plusieurs dénominations concurrentes.
Descendants eux aussi de la populations autochtone, les Mandéens pratiquent une religion gnostique, se revendiquent de Jean le Baptiste et considèrent Jésus comme un faux prophète. Ils étaient 40.000 en 2003, ils sont moins de 5.000 actuellement.
Les Arméniens, à la fois groupe ethnique et membre d’une Église nationale orthodoxe, était environ 50.000, lors de l’invasion yankee. Ils ont pour la plupart choisi le chemin de l’exil.
Les Shabaks, au nombre 60.000 dans le Nord de l’Irak, ils pratiquent une religion syncrétiste contenant des éléments de culte musulmans, païens et chrétiens. Bien que possédants leur propre langue et leur propre culture, ils subissent une politique de kurdification.
Les Yézides, au nombre de 650.000, sont parfois nommés « les adorateurs du Diable ». Ils vénèrent Malek Taous, l’ange-paon, que certains musulmans et chrétiens considèrent comme un démon. Comme les Shabaks, ils subissent une politique de kurdification.
Les minorités religieuses
Les chrétiens sont divisés en onze dénominations différentes (dont cinq dépendent ou sont unies à Rome), certaines ouvertes à tous les Irakiens, d’autres ne recrutant de dans un groupe ethnique paticulier. Il s’agit de l’Église catholique chaldéenne, de l’Église apostolique assyrienne de l’Orient, de l’Ancienne Église de l’Orient, de l’Église syriaque orthodoxe, de l’Église catholique syriaque, de l’Église apostolique arménienne, de l’Église catholique arménienne, de l’Église grecque orthodoxe et de Église catholique romaine. Quelques maronites et des protestants autochtones, issus de conversions dans les années 1920, sont aussi présents.
Les Yarsans pratiquent un syncrétisme complexe qui mêle des éléments de mazdéisme, d’islam et de christianisme. Les membres de cette religion sont majoritairement Kurdes, mais elle compte aussi des membres parmi les arabes, et les micro-minorités ethniques issues d’Iran que sont les Lors, les Azéris et les Perses.
Les minorités ethniques
Les Turcomans qui sont de langue turque et de religion sunnite ou chrétienne vivent principalement dans le Nord de l’Irak où ils subissent une politique de kurdification.
Les Qawliya sont les … « Roms » d’Irak ! Ensemble de tribus gitanes islamisées ou christianisées selon leurs lieux de résidence, et parlant une langue hybride mélange de rom, d’hindi, d’arabe, de perse, de russe et de kurde, les Qawliya s’étaient sédentarisés dans le Sud-Ouest de l’Irak. Depuis 2004, la totalité de leurs villages ont été détruits et ils ont du fuir vers le Nord et prendre, pour certains, le chemin de l’exil.

Source .
http://www.geostrategie.com/2893/un-chretien-irakien-nous-ouvre-son-coeur-entretien-avec-yacoub-souleiman

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